Ces quelques lignes ont pour objectif de vous présenter le procédé de teinture végétale en discontinu. En outre, si vous souhaitez approfondir le sujet vous trouverez une mine d’informations sur la teinture végétale ainsi que les produits de mise en oeuvre dans les ouvrages et sites suivants : Teintures naturelles de Karin Delaunay-Dels ; Plantes colorantes, teintures végétales de Michel Garcia et Anne-France Bernard ; Conservatoire des Ocres et de la Couleur.
Le procédé de teinture végétale en discontinu
Le procédé de teinture consiste à colorer une matière textile au moyen d’un colorant (soluble) ou d’un pigment (insoluble). Ledit colorant ou pigment contient une molécule contenant un groupe chromophore capable d’interagir avec les ondes lumineuses, conférant ainsi à l’œil la perception de couleur. La teinture en discontinu (ou par épuisement) consiste quant à elle à teindre une quantité de matière textile sèche dans un bain de teinture chauffé à une température et pendant une durée données.
La teinture végétale consiste pour sa part à colorer les fibres (en bourre), les fils (sur bobine) ou les tissus (sur pièce) au moyen de substances végétales ou animales (teinture naturelle). Ses avantages résident dans l’emploi de substances écologiques et l’obtention de superbes teintes naturelles. Ses inconvénients sont quant à eux liés au temps et au coût de mise en œuvre qui sont plus conséquents que pour la teinture à base de colorants chimiques. En outre, il est impossible d’obtenir une teinte identique pour plusieurs bains, quand bien même les proportions de colorant soient identiques.
Le bain de mordançage
Le premier bain (dit de mordançage) consiste à préparer la matière textile au moyen d’un mordant. Ledit mordant combiné à la chaleur va fragiliser la barrière électrostatique présente en surface de la matière et ainsi faciliter la pénétration et la fixation du colorant. Les formulations ci-après évoquées sont données pour les paramètres suivants : 100 grammes de matière sèche ; baignés dans 3 litres d’eau distillée ; contenus dans un récipient en inox de 4 litres. Le procédé de mise en oeuvre est le suivant :
- Rincer et essorer la matière lavée.
- Plonger ladite matière dans le bain préalablement chauffé à 30°C avec le mordant dissout.
- Amener progressivement ledit bain à une température donnée.
- Laisser baigner durant un temps donné à température constante en brassant doucement la matière.
- Laisser refroidir le bain jusqu’à température ambiante.
- Sortir et sécher la matière à température ambiante.
MATIERE | MORDANT | REMARQUE |
Fibres protéiques | 15 à 25 g. d’alun de potassium + 3 à 6 g. de bitartrate de potassium. | Plus on utilise d’alun et proportionnellement de bitartrate plus la couleur est vive, et inversement. Baigner 60 minutes à 90°C. |
Fibres cellulosiques | 60 g. de feuilles de sumac broyée + 25 g. d’alun de potassium + 6 g. de carbonate de sodium. | 1er Bain au sumac : Baigner 30 minutes à 90°C. Garder le bain pour le lendemain. 2ème Bain à l’alun et sodium : Baigner 30 minutes à 90°C. Réserver dans le bain durant 12 heures. 3ème Bain au sumac : Baigner 30 minutes à 90°C. |
Le bain de teinture végétale
Le deuxième bain (dit de teinture) consiste à appliquer le colorant sur la matière. Les formulations sont données pour les paramètres suivants : 100 grammes de matière sèche mordancée ; baignés dans 3 litres d’eau distillée ; contenus dans un récipient en acier inoxydable de 4 litres. Les formulations de colorants et les paramètres de teinture sont donnés plus bas. Le procédé de mise en oeuvre est le suivant :
- Rincer et essorer la matière mordancée.
- Plonger ladite matière dans le bain préalablement chauffé à 30°C avec le colorant.
- Amener progressivement ledit bain à une température donnée.
- Laisser baigner durant un temps donné à température constante en brassant doucement la matière.
- Laisser refroidir le bain jusqu’à température ambiante.
- Sortir et laver la matière à température ambiante.
- Rincer et sécher la matière à température ambiante.
Le bain de nuançage
Il est également possible d’appliquer un troisième bain (dit de nuançage) afin de nuancer la couleur au moyen de sels métalliques (4 à 8 g. selon le résultat souhaité). Le sulfate de cuivre réchauffe les rouges et les bruns et verdit les jaunes. Le sulfate de fer assombrit quant à lui toutes les couleurs. Le procédé de mise en oeuvre est le suivant :
- Plonger la matière dans le bain préalablement chauffé à 30°C avec le sulfate dissout.
- Amener progressivement ledit bain à une température de 90°C.
- Laisser baigner durant 15 à 30 minutes (selon le résultat souhaité) à température constante en veillant à brasser la matière doucement.
- Laisser refroidir ledit bain jusqu’à température ambiante.
- Sortir et laver la matière à température ambiante.
- Rincer et sécher la matière à température ambiante.
Vous trouverez ci-après une sélection non exhaustive de colorants naturels réputés très solides à la lumière et au lavage (dits de grand teint). A vous ensuite de faire vos expérimentations : en créant des colorants par mélange des formulations de base ; en éclaircissant ou assombrissant les teintes par modification de la quantité de colorant du bain ; en nuançant la teinte par l’ajout de sels métalliques.
Rubia tinctorum (Garance)
La garance est une plante utilisée pour teindre en rouge. Elle pousse entre autres dans le sud de la France. Ce sont l’alizarine et la purpurine présentes dans sa racine desséchée puis pulvérisée que l’on utilise pour la teinture végétale. Pour faciliter ladite teinture, il est préférable de mordancer la matière à l’avance et de la réserver quelques jours en zone humide et ombragée enveloppée dans un linge.
Colorant : faire macérer 70 g. de poudre dans 35 cl. d’eau distillée pendant 12 heures. Teinture : baigner la matière 60 minutes à 70°C.
Dactylopius coccus (Cochenille)
La cochenille est un insecte utilisé pour teindre en rouge. Elle est élevée principalement au Mexique et aux Iles Canaries. C’est l’acide carminique présent dans l’insecte écrasé que l’on utilise pour la teinture naturelle.
Colorant : faire macérer 15 g. d’écrasé dans 15 cl. d’eau distillée pendant 12 heures ; puis bouillir 15 minutes à 90°C dans 3 l. d’eau distillée ; puis laisser refroidir et filtrer. Teinture : baigner la matière 60 minutes à 90°C.
Indigofera tinctoria (Indigotier)
L’indigotier est un arbuste utilisé pour teindre en bleu. Il pousse principalement en Inde. Ce sont l’isatan et l’indoxyle présents dans les feuilles desséchées puis pulvérisées que l’on utilise pour la teinture végétale. Il n’est pas nécessaire de réaliser de bain de mordançage.
Colorant : dissoudre 10 g. de poudre et 2 g. de carbonate de sodium dans 10 cl. d’eau distillée à 40°C ; puis laisser reposer 12 heures dans un bocal fermé. Teinture : chauffer le colorant à 40°C ; puis saupoudrer 0.5 g. de dithionite de sodium et attendre jusqu’à obtenir une surface bleu violacée ; puis stopper le feu, ajouter 1 l. d’eau distillée et laisser reposer 20 minutes jusqu’à obtenir une pellicule cuivrée ; vérifier que le pH soit approximativement de 9 pour les fibres protéiques, 11 pour les fibres cellulosiques (rajouter du carbonate si nécessaire) ; puis baigner la matière 15 à 60 minutes selon le résultat souhaité.
Isatis tinctoria (Guède)
La guède est une plante utilisée pour teindre en bleu. Elle pousse principalement sur le pourtour de la Méditérranée. Ce sont l’isatan et l’indoxyle présents dans les feuilles desséchées puis pulvérisées qui sont utilisés pour la teinture végétale. Il n’est pas nécessaire de réaliser de bain de mordançage.
Colorant : dissoudre 50 g. de poudre et 2 g. de carbonate de sodium dans 200 cl. d’eau distillée à 40°C ; puis laisser reposer 12 heures dans un bocal fermé. Teinture : chauffer le colorant à 40°C ; puis saupoudrer 0.5 g. de dithionite de sodium et attendre jusqu’à obtenir une surface bleu violacée ; puis stopper le feu, ajouter 1 l. d’eau distillée et laisser reposer 20 minutes jusqu’à obtenir une pellicule cuivrée ; vérifier que le pH soit approximativement de 9 pour les fibres protéiques, 11 pour les fibres cellulosiques (rajouter du carbonate si nécessaire) ; puis baigner la matière 15 à 60 minutes selon le résultat souhaité.
Reseda luteola (Gaude)
La gaude est une plante utilisée pour teindre en jaune. Elle pousse principalement sur le pourtour de la Méditerranée. C’est la lutéoline présente dans la totalité de la plante (exception faite de sa racine) desséchée puis pulvérisée qui est utilisée pour la teinture végétale.
Colorant : faire macérer 200 g. de poudre dans 3 l. d’eau distillée pendant 12 heures ; puis bouillir 90 minutes à 90°C ; puis laisser refroidir et filtrer. Teinture : baigner la matière 60 minutes à 75°C.
Serratula tinctoria (Sarrette)
La sarrette est une plante utilisée pour teindre en jaune. Elle pousse à travers toute l’Europe. C’est la lutéoline et le méthylquercétine présents dans la totalité de la plante (exception faite de sa racine) desséchée puis pulvérisée qui est utilisée pour la teinture végétale.
Colorant : faire macérer 200 g. de poudre dans 3 l. d’eau distillée pendant 12 heures ; puis bouillir 60 minutes à 90°C ; puis laisser refroidir et filtrer. Teinture : baigner la matière 60 minutes à 90°C.
Anthemis tinctoria (Camomille)
La camomille est une plante utilisée pour teindre en jaune. Elle pousse à travers toute l’Europe. Ce sont l’apigénol, la lutéoline, le quercétagénol et le patuletol de ses sommités fleuries séchées et pulvérisées qui sont utilisées pour la teinture végétale.
Colorant : faire macérer 300 g. de poudre dans 3 l. d’eau distillée pendant 12 heures ; puis bouillir 60 minutes à 90°C ; puis laisser refroidir et filtrer. Teinture : baigner la matière 60 minutes à 90°C.
Juglans regia (Noyer)
Le noyer est un arbre utilisé pour teindre en brun. Il pousse en Europe, en Amérique du Nord et en Asie mineure. Ce sont les tannins catéchiques et galliques présents dans ses feuilles et son brou pulvérisés qui sont utilisés pour la teinture végétale.
Colorant : faire macérer 300 g. de poudre dans 3 l. d’eau distillée pendant 12 heures ; puis bouillir à 90°C pendant 120 minutes ; puis laisser refroidir et filtrer. Teinture : baigner la matière 60 minutes à 90°C.
Acacia catechu (Acacia à Cachou)
L’acacia à Cachou est un arbre utilisé pour teindre en brun. Il pousse en Indonésie, en Afrique orientale et en Amérique tropicale. Ce sont les tannins catéchiques présents dans le cœur de son bois pulvérisé qui sont utilisés pour la teinture végétale.
Colorant : diluer 40 g. de poudre dans 200 cl. d’eau distillée chaude ; puis porter à ébullition (90°C) dans 2.8 l. d’eau distillée en stoppant immédiatement l’ébullition ; puis laisser refroidir et filtrer. Teinture : baigner la matière 60 minutes à 90°C.
Hypericum perforatum (Millepertuis)
Le millepertuis est une plante utilisée pour teindre en brun. Elle pousse à travers toute l’Europe. C’est l’hypéricine et le tannin catéchique présents dans ses sommités fleuries séchées puis pulvérisées qui sont utilisés pour la teinture végétale.
Colorant : faire macérer 100 g. de poudre dans 3 l. d’eau distillée pendant 12 heures ; puis bouillir 60 minutes à 90°C ; puis laisser refroidir et filtrer. Teinture : baigner la matière 60 minutes à 90°C.
Quercus infectoria (Chêne à Galles)
Le chêne à Galles est un arbre utilisé pour teindre en gris. Il pousse sur le pourtour de la Méditerranée et en Asie mineure. Ce sont les tannins galliques présents dans les excroissances de ses brous desséchés et pulvérisés qui sont utilisées pour la teinture végétale.
Colorant : faire macérer 2 g. de poudre dans 40 cl. d’eau pendant 1 heure ; puis filtrer. Teinture : baigner la matière 30 minutes à 90°C.